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Notre histoire

Vivre dignement

Vivre d’agriculture, c’est vivre de passion, d’implication et de simplicité. Par contre, dans les dernières années, supporter La Pagaille s'est avèré de plus en plus lourd au niveau financier et ajoute une charge mentale supplémentaire autant personnelle qu’entrepreneuriale. Il s’avère donc, pour nous, non-négociable de revendiquer un mode de vie et une agriculture véritablement écologique, qui soutient la sécurité et à la souveraineté alimentaire de notre territoire. En effet, La Pagaille désire aller au fond des choses, être transparente et authentique, mais surtout, elle désire s’encrer dans le politique. Nous trouvons donc important de mettre en lumière ce qui se passe dans notre entreprise. Le but de cet exposé n’a aucunement l’intention de culpabiliser les individus. Nos sommes tous prisonnier/ère-s de ce système. Nous cherchons plutôt des solutions afin d’être en mesure de continuer à nourrir notre communauté, tout en étant en mesure de vivre dignement. Nous croyons que cela passe, en autre, par la vulgarisation de la réalité agricole. Vous nous excuserez d’avance, ce texte est costaud. Nous y effleurons d’abord la question du coût réel des aliments, puis nous nous attarderons à notre réalité.

La fatigue des maraîchers, 
La semaine verte

Un épisode de La semaine verte a été dédié à la fatigue des maraîchers. Cet épisode expose très bien la situation globale des maraîchers et des maraîchères du Québec et le poids qui pèse sur nos épaules. Nous vous invitons (très très très) fortement à l’écouter!

 Il faut savoir que nous ne prétendons pas nous poser ici comme expert-e-s en géopolitique de l’alimentation ou faire ici un exposé sur les inégalités structurelles inhérentes au capitalisme. Par contre, nous croyons que vous partager notre réalité, c’est tout de même offrir un point de vue, un témoignage qui renforce le fait que la structure du marché alimentaire repose sur des externalités afin de garder les prix relativement bas pour les consommateurs, les profits relativement hauts pour les grandes entreprises et des bénéfices quasi nuls ou inexistants pour les agriculteur/trice-s. Bien que nous ne fassions pas appel à de grandes entreprises pour la distribution, nous nous trouvons tout de même dans une posture où pour garder les prix acceptables, nous grignotons nos revenus au détriment de notre salaire.  Nous ne croyons pas avoir toute la vérité, mais l’expérience partagée avec les autres petites fermes nous laisse croire que notre expérience s’encre dans un vécu partagé, une expérience commune de l’agriculture qui sort de l’histoire individuelle, de l’anecdotique et qui s’inscrit dans le social comme un phénomène non marginal. 

 Payons-nous le juste prix des aliments?

La réponse, simple et complexe à la fois, tient pourtant en un mot : non. Alors qui  paye le coût réel? 

En créant la ferme, nous avions à coeur de créer un projet commun, communautaire et ouvert à qui voudrait s’y joindre. Un endroit, nous espérions, un peu en marge de l’accélération et de la destruction de la Terre. Mais, bien sûr, nous nous sommes butés à la réalité. L’endroit où nos rêves rencontrent l’économie et où nos prix compétitionnent avec ceux des marchés mondiaux, des bourses et des accords de libre-échange. Un monde où les coûts réels des aliments sont externalisés et ont un impact négatif sur l’environnement social, c’est-à-dire que l’activité de production « fait supporter à la collectivité un coût supérieur (le coût social) » au coût réel. (RASTOIN, 2022, p.2) Autant dire, un monde où l’agriculture n’est pas équitable.

Fait à noter, selon une estimation réalisée par le Comité scientifique du Sommet mondial des Nations unies sur les systèmes alimentaires (2020), les externalités négatives du système alimentaire représentaient 1,2 fois la valeur de la consommation alimentaire, soit un peu plus du double du coût réel. (Ibid)  En effet, selon l’UNESCO, environ 50% des coûts cachés ont des impacts préjudiciables sur la santé humaine, 30% en ont sur l’environnement et 20% sur l’économie. (RASTOIN, 2022, p.1) Pour résumé, les prix des aliments sont tirés vers le bas par l’industrie agroalimentaire alors que les coûts réels sont reportés sur la santé mentale et physique des ouvriers agricoles et des paysans (que ceux-ci soient locaux ou étrangers) ou encore sur la planète. L’agriculture industrielle détruit l’environnement notamment « par les émissions de gaz à effet de serre (GES), la pollution de l’eau et de l’air, l’érosion des sols, et la perte de biodiversité ». (ZAFIRIOU, 2022, p.2)  Pour illustrer, au Canada en 2011, la valeur des externalités négatives « associées à l’érosion des sols étaient évaluées à 2 milliards de dollars ». D’autant, toujours au Canada,  l’ensemble des externalités négatives sur l’environnement atteignent 8,856 milliards de dollar, bien que la somme tende à légèrement diminuer avec les années. (ZAFIRIOU, 2022, p.6) C’est donc dire que même dans un pays riche  comme le nôtre, ou l’agriculture est fortement subventionnée, l’environnement en paye le prix. 

Vous aurez deviné que ce sujet est complexe. Nous pourrions écrire une thèse entière sur le sujet; nous nous arrêterons donc ici.  Revenons donc à la question qui nous obsède : payons-nous le juste prix des aliments? La réponse simple et complexe à la fois tient pourtant en un mot : non. Alors qui, au Québec, paye le coût réel? 

Qui paye le coût réel des aliments?

Une portion de la réponse se trouve dans notre salaire. En 2023, le salaire horaire pour les membres travailleur/euse-s de La Pagaille a été de 4,60$. C’est loin du salaire minimum au taux de 15,25$, qui passera d’ailleurs à 15,75$ le 1er mai 2024. Cela équivaut pour une semaine de travail de 40h à 184$.  C’est-à-dire que pour une année de 1645 heures de travail comme ce fut le cas l’an passé, nous récoltons 7567$ de revenu brut. En comparaison, le seuil de revenu viable, pour une personne seule dans une région rurale, s’établit à 22 572$ par année. (IRIS, 2023, En ligne) L’écart ne cesse de se creuser pour nous.

 

Les maraîcher/ère-s doivent donc travailler à l’extérieur afin d’arriver à vivre dignement. Tout de même, parmi les agriculteur/trice-s de la relève, près de 44% doivent se trouver un deuxième emploi afin de subvenir à leur besoin financier. (Le Devoir, En ligne). En effet, les économies amassées durant l’hiver servent aux jours maigres de l’été, le moment où le plus gros du travail est effectué. C’est donc dire que, dans les faits, le travail à l’extérieur sert à soutenir la ferme. Les maraîcher/ère-s pour leur part portent sur leurs épaules les familles qu’ils nourrissent, afin que ces dernières, n’ayant pas l’obligation de produire leur nourriture, puissent aller travailler à des salaires décents. 

salaire horaire 2023 
membre La Pagaille


4,60$/h

revenu brute 2023, membre La Pagaille

7567$

Il n’y a qu’un pas à franchir pour dire que les agriculteur/trice-s soutiennent le train de vie des autres.

  • 44% des agriculteur.trice.s de la relève doivent se trouver un deuxième emploi.
  • En moyenne « 8 $ d’actifs sont nécessaires pour chaque dollar de recettes en agriculture ».
  • Les recettes agricoles des fermes ont baissé de 6,7% malgré une hausse des revenus.
  • Le prix des intrants agricoles a augmenté trois fois vite plus que l’inflation entre janvier 2020 et septembre 2022



Vous nous direz, bien sûr, que l’entrepreneuriat est difficile et que de nombreux défis se posent relativement au démarrage. Bien sûr, nous pourrions encore augmenter notre efficacité et rationaliser davantage nos méthodes de travail. Nous apprenons chaque année de nos erreurs. 

Par ailleurs, nous avons peu de pouvoir sur notre endettement préalable et nécessaire au démarrage : en moyenne « 8 $ d’actifs sont nécessaires pour chaque dollar de recettes en agriculture ». (UPA, 2024, En ligne) Bien que plusieurs subventions soient offertes par le MAPAQ, celui-ci ne permet pas d’acheter d’équipements usagés. Il faut donc nécessairement s’endetter davantage pour avoir accès au matériel nécessaire à la réussite du projet. C’est ainsi que les remboursements de prêts pèsent très lourds sur les finances et sur notre capacité à se payer. Même les maraichers industriels commencent à tirer la sonnette d’alarme. Par exemple, en 2022, l’UPA signale que les recettes agricoles des fermes ont baissées de 6,7% malgré une hausse des revenus. D’autant, le prix des intrants agricoles a augmenté trois fois vite plus que l’inflation entre janvier 2020 et septembre 2022. ( UPA, 2024, En ligne ).

À ceci s’ajoute la charge de travail, les obligations légales, la fatigue et le sentiment d’isolement… Les statistiques sont effarantes. Un peu plus de 50% des agriculteur.trice.s présenteraient un taux élevé de détresse psychologique. (LAFLEUR et ALLARD, 2006) Partout en occident, il est même de consensus que l’agriculture est un métier risqué notamment pour la santé psychologique. (JONES-BITTON, BEST, et al., 2019 dans DOLBEC, 2021, p.6). Tout ceci est sans compter les aléas climatiques qui apposent encore une pression supplémentaire sur des épaules déjà bien remplies. Bref, nous aimerions vous dire que notre situation est un cas anecdotique. Cependant, le même problème s’observe manifestement chez nos collègues.

Quoi faire face à ces constats?

Quelles solutions s’offrent à nous? Augmenter les prix? La très grande majorité des gens ne peuvent pas payer le réel prix des légumes. Qui peut, ou veut, payer une botte de carottes 3 à 4 fois plus cher? «Bonjour, combien pour la botte de carottes? - 14$ :) Impossible d’afficher ce prix, et nous ne serions pas à l’aise de le faire. 

 

Deuxième solution; baisser les coûts de la main-d’oeuvre? Comme exposé plus haut, il serait difficile pour nous de faire plus bas. Mais encore, plusieurs des fermes ont recours au woofing,. Il s’agit de gens qui, contre gîte et repas, travaillent de façon gratuite. Bien qu’il s’agisse d’une excellente façon de voyager, et que ce soit un outils intéressant pour les fermes, cela fait en sorte que la production de nourriture repose, encore une fois, sur une main-d’oeuvre gratuite.

Comment faire alors? C’est ici que nous faisons appel à vous. Les fermes, grosses et petites, participent à la sécurité alimentaire locale. Mais sans soutien suffisant, leur pérennité est  compromise. Le Québec jouissait d’ailleurs de 38 076 fermes en 1991, alors qu’elles ne sont plus 29 380 fermes en 2021, entre autre parce que la taille des fermes a presque doublée jusqu’en 2006. De ce nombre, 39,8% font moins de 50 000$. (LAPOINTE et BOUHABILA, 2023) Il faut également noter que le Québec est passé d’une autosuffisance alimentaire de 75% à 35% dans les 50 dernières années. (Radio-Canada, 2021)

Comment faire pour que la société s’engage dans la pérennité des fermes? Que seriez-vous prêt/te à faire pour participer ou soutenir votre alimentation et celle de la collectivité? Avez-vous des idées pour rendre le système plus équitable?

Nous voulons vous entendre!

Nous savons que la grande majorité des solutions relèvent d'enjeux structurels et de volonté politique. 

 

Tout de même, si la situation des fermes vous touche, nous vous invitons à participer à l’effort de se nourrir, quelqu’en soit la manière. 

Par un don en argent

Les paniers de La Pagaille sont vendus au prix minimum pour permettre à la coopérative de répondre à ses obligations financières face à ses créanciers. Le coût  de production réel d’un panier de 14 semaines pour 2 personnes est de 1001,18$. Il y a donc un manque à gagner de 431,12$. Ce prix est celui qui devrait être demandé afin que vos maraicher/ère.s touchent le salaire minimum. Si vous le voulez et si vous le pouvez, nous vous invitons à donner davantage aux producteur\trice.s afin de vous rapprocher des coûts réels des aliments. Chaque contribution, même de 1$, fait la différence. Également, payer en argent liquide aide à diminuer les frais transactionnels élevés liés à l'utilisation des cartes (et accessoirement à enrichir les banques).

Par un don en temps

Un don en temps pourrait également être possible. Dites-vous que si le manque à gagner était calculé en temps, il représenterait 27 heures de travail par panier de légumes, toujours au salaire minimum. Ainsi, que vous ayez du temps chaque semaine ou de façon ponctuelle, votre aide est la bienvenue pour récolter, désherber, laver, construire ou tenir marché. Aussi, des corvées se dérouleront au printemps et à l’automne.

 

Projet pilote - jardin collectif

Avec quelques ami.e.s, nous mettons sur pied un projet collectif, au coeur du jardin de La Pagaille, qui permettrait d’échanger la valeur totale de sa consommation de légumes à l’année contre des heures de jardinage. Nous espérons ainsi démonétiser la relation à l’alimentation, collectiviser la charge de se nourrir et créer du lien. Et peut-être même, mettre sur pied un nouveau modèle agricole? ; )

Le-coût-réel-d'un-panier-2024.gif

À celles et ceux qui se sont rendu/e-s ici, merci d’avoir pris le temps de digérer toute cette information.

 

À bientôt pour la suite du monde!

Médiagraphie

BLAIS, STÉPHANE. Un agriculteur québécois sur 10 prévoit mettre la clé sous la porte. Le devoir, [En ligne] [https://www.ledevoir.com/economie/788827/un-agriculteur-quebecois-sur-10-prevoit-fermer-son-entreprise?]
 
COUTURIER, Eve-Lyne, NGUYEN, Minh et Vivian, LABRIE. « Le revenu viable 2023: dans la spirale de l’inflation et des baisses d’impôt», IRIS, 3 mai 2023. [En ligne] https://iris-recherche.qc.ca/publications/revenu-viable-2023/#Le_revenu_viable_et_la_sortie_de_la_pauvrete, (page consultée le 26 février 2024).
 
COOP FÉDÉRÉE. Enquête sur la santé psychologique des producteurs agricoles du Québec, Août 2006, 81 p. [Rapport par LAFLEUR, Ginette et Marie-Alexia ALLARD]
[https://crise.ca/wp-content/uploads/2019/11/lafleur-rapport-coop-2006.pdf]
 
DOLBEC, Didier. Santé psychologique des producteurs agricoles du Québec : Déterminnants et mécanismes opératoires, [Thèse de doctorat, Université de Sherbrooke], 2021, 113 p. [https://savoirs.usherbrooke.ca/bitstream/handle/11143/18607/dolbec_didier_DPs_2021.pdf?sequence=7&isAllowed=y]
 
UNION DES PRODUCTEURS AGRICOLES, Présentation du contexte, Dossier Agriculture sous pression, [En ligne], [https://www.upa.qc.ca/citoyen/centre-des-communications/agriculture-sous-pression/presentation-du-contexte] (page consultée le  26 février 2024).
 
RADIO-CANADA. Autosuffisance alimentaire, [Série Carbone], 17 octobre 2020. [https://ici.radio-canada.ca/tele/la-semaine-verte/site/episodes/487332/autosuffisance-alimentaire-carbone] (Consulté le 27 février 2024).
 
ZAFIRIOU, Margaret. « Les externalités et la politique agricole canadienne : rôle, justification, et résultats », Institut canadien des politiques agroalimentaires, Octobre 2020, 15 p.

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